On raconte qu’au carrefour des routes de la soie, ces cités légendaires, que sont Samarcande, Boukhara et Khiva, offrent une farandole de coupoles étincelantes ornées de faïences, de minarets fuselés, de somptueux palais ou encore de cités fortifiées. Ses bazars animés, ses jardins ou ses salons de thés, sont autant d’occasion d’aller à la rencontre du peuple ouzbek, qui, malgré l’authoritarisme du régime, a su conserver sa gentillesse et son profond sens de l’hospitalité. Véritable terre de légendes, un voyage en Ouzbékistan est une plongée dans l’histoire au temps des caravanes, un dépaysement unique au carrefour des civilisations.
Puis, suivre la route M41, la Pamir Highway, entourée de pics aux neiges éternelles, flirtant avec le ciel, construite dans des plateaux désertiques battus par les vents, c’est vivre un voyage entre terre et nuages. En effet, la mythique M41, une des plus hautes routes du monde, relie Dushanbe à Osh en serpentant à travers la région autonome du Gorno-Badakhshan par de nombreux cols entre 4000 et 5000 mètres. Y poser ses roues, s’est aller à la rencontre de Marco Polo, qui a traversé le Pamir au VIII siècle.
Le texte qui suit, relate l’ensemble de notre voyage. Il est largement inspiré des notes prises au fil des jours. Tantôt, il sera narratif, amusant ou ennuyeux. Il reflète l’humeur du jour, mes impressions ou simplement l’envie de garder en mémoire les anecdotes qui ont jalonné notre parcours. Je ne pourrai pas toutes les raconter ici. Je garde la plupart d’entre elles. Elles m’appartiennent… |
Atyrau – Beyneuskiy
Nous quittons la ville précipitamment, devançant l’arrivée des inondations annoncées. Déjà, les champs alentour sont submergés par les eaux, transformant le paysage en une vaste étendue liquide où la terre semble disparaître.
La route, bien que monotone, se révèle globalement praticable. Les kilomètres défilent dans une succession d’horizons presque identiques. De temps à autre, nous croisons un troupeau de dromadaires avançant nonchalamment ou quelques chevaux égarés, ajoutant une touche d’animation à ce trajet solitaire.
Au cours de cette journée de 450 kilomètres, nous traversons que trois villages, comme des îlots de vie dans cette étendue désertique. La route, droite et sans grand défi, nous offre néanmoins cinq courbes qui, bien qu’infimes, semblent vouloir résister à notre progression.
Le dernier village porte déjà les stigmates des inondations précédentes. Devant les maisons, des piles de meubles endommagés s’entassent, témoins silencieux de la catastrophe passée. Le spectacle de désolation est saisissant, une tristesse amplifiée par l’approche imminente d’une seconde vague, qui menace d’aggraver encore le sort des habitants.
La nuit tombée, nous trouvons refuge dans un hôtel modeste. Le confort est sommaire, et la connexion WiFi, bien qu’existante, semble elle aussi fatiguée, à l’image du lieu et de son environnement. Le défi du jour, hormis celui de la route, est de tenter d’extraire un vague sourire à la tenancière. Après quelques tentatives, c’est chose faite. Malgré tout, ce havre temporaire nous offre un répit bienvenu avant de reprendre la route le lendemain.
Beyneuskiy – Zhaslyk (Uzbekistan)
Ce fut une journée rude, une de celles qu’on pourrait qualifier d’éprouvante, voire d’épouvantable. Tout commence pourtant bien : les premiers 85 kilomètres, jusqu’à la frontière, sont parfaits. Une route fluide, sans accroc, qui nous laissait espérer un voyage sous de bons hospices.
Le passage en douane, bien qu’un peu long – trois heures tout de même – se déroule sans encombre majeure. Sauf pour une petite arnaque bien orchestrée par le fonctionnaire en charge du change. Ce dernier, avec son sourire de circonstance, nous prend certainement pour des touristes faciles à plumer. Une mésaventure agaçante, mais que nous laissons vite derrière nous.
La suite du trajet, en revanche, relève d’une toute autre épreuve. Les 150 kilomètres qui nous séparent du motel tiennent davantage du parcours d’obstacles que d’une route ordinaire. Dire qu’elle est « défoncée » est un doux euphémisme. Imaginez une chaussée criblée de cratères où chaque trou semble rivaliser de profondeur et de largeur. À peine sortons-nous d’un piège que nous tombons dans un autre encore plus imposant. Avancer relève de l’exploit, à une vitesse maximale de 20 kilomètres par heure. À ce rythme, il est évident que nous arriverons de nuit, mais l’absence de tout autre hébergement avant le motel nous condamne à poursuivre.
Et comme si cela ne suffit pas, une poussière omniprésente, soulevée par les nombreux camions zigzaguant pour éviter les nids-de-poule, ajoute une touche infernale à ce calvaire. C’est alors qu’une idée saugrenue nous traverse l’esprit. Juste à côté, une route en construction semble offrir une alternative. Sans hésiter, nous trouvons une piste menant à ce chantier.
Au début, tout va bien : une portion déjà bétonnée nous permet d’avancer à bon rythme. Enfin un peu de répit ! Mais rapidement, des obstacles dressent sur notre chemin. Des monticules de terre barrent la voie. Qu’à cela ne tienne, nous les franchissons tant bien que mal. Puis, les ouvriers apparaissent. Pour ne pas déranger leur travail ou attirer trop l’attention, nous bifurquons sur une piste parallèle longeant la route en construction. Ce détour improvisé nous mène plus loin, où nous réintégrons une partie praticable de la voie bétonnée.
À ce moment-là, un contrôle de police nous stoppe net. Étions-nous supposés rouler ici ? Probablement pas. Mais quelques sourires bien placés, une poignée de main amicale, et nous pouvons continuer sans encombre.
À l’arrivée, le motel n’est pas particulièrement accueillant et qui n’a rien à voir avec un motel mais plutôt un dortoir. Nous sommes soulagés d’avoir atteint notre objectif. Sur toute la durée du parcours, nous n’avons pas vu une seule station d’essence. Les réservoirs sont presque vide. Nous achetons de l’essence au litre, une pratique peu orthodoxe mais bienvenue après une journée pareille.



D’ailleurs, on y trouve pas seulement de l’essence dans le bazar du motel, mais également des pièces détachées, des sucreries ou toutes autres choses déposées pèle-mêle.
Zhaslyk – Nukus
La place du Régistan est le joyau architectural de Samarcande et le symbole de son âge d’or. Elle est entourée de trois médersas majestueuses : Oulougbek, Cher-Dor et Tilla-Kari. Son vaste espace pavé résonne encore des échos des caravanes de la route de la soie et des discours des érudits d’autrefois.
Les mosaïques bleu azur, les motifs floraux et géométriques, ainsi que les calligraphies délicates recouvrent les immenses portails et les minarets. Sous le soleil, les dômes scintillent, tandis que les hauts iwans (voûtes monumentales) projettent leur ombre imposante.
Nous rêvions de visiter cette place. Nous l’avions imaginée immense, grandiose. Finalement, elle n’est pas si imposante. Mais surtout, elle est envahie de touristes… dont nous 😉
Samarkand – Dushanbe (Tajikistan)
Je ne suis pas mécontent de quitter l’Ouzbékistan. Comme souvenirs, je conserve la rudesse des habitants, leur manque de finesse, à l’image de ce pays sec et aride. Mais je garde aussi en mémoire la splendeur des édifices de Samarkande, de Boukhara et de Khiva, avec une nette préférence pour cette dernière.
Ce nouveau passage en douane est un véritable cirque. On passe d’un bureau à l’autre, on revient sur nos pas, on repart ailleurs. Et ainsi de suite, pendant 2 heures 30. Le principe est simple : la main droite ne doit surtout pas savoir ce que fait la main gauche. Sinon, il faudrait partager le bakchich entre trop de monde. J’ai dû lâcher 10 dollars pour faire passer la moto. Puis, cerise sur le gâteau, le « banquier » décide que mon billet est faux. Cette fois, je ne cède rien.
Dès l’entrée au Turkménistan, l’ambiance change. Ici, c’est autre chose. Quel plaisir de retrouver des montagnes ! C’est vert, bien plus propre que chez le voisin, et les habitants nous saluent à notre passage. La route menant à Douchanbé est superbe. On en aurait presque oublié comment négocier les virages.
Sur des kilomètres, on longe une gorge profonde, bordée de petits villages pittoresques. La température chute à 16 degrés, offrant un répit bienvenu, avant de remonter à 34 à notre arrivée en ville.
Dushanbe – Kulob
Nous restons deux jours à Douchanbé. Il nous faut un permis pour emprunter la route du Pamir, mais comme dimanche, les bureaux sont fermés, il faut patienter.
En attendant, on apprend que la M41, la route principale traversant le Pamir, est en très mauvais état. De nombreux gués à franchir, dont un nécessitant un gros 4×4. Un Français nous raconte avoir mis une journée pour parcourir les 70 kilomètres précédant Qal’aï Khumb. Grosse déception…
On envisage alors de rejoindre Och par l’unique autre route partant de Douchanbé. Mais dans la soirée, coup de massue : on apprend qu’elle ne serait plus praticable non plus. On sort la carte, on cherche une alternative, et on finit par trouver une autre route pour rejoindre le Pamir.
Le lendemain, à 8 h tapantes, on est devant le bureau pour obtenir le permis. Quarante-cinq minutes plus tard, on prend enfin la route en direction de Kolug. À notre arrivée, on déniche un hôtel avec climatisation. Dehors, il fait 37 degrés. Autant dire qu’on apprécie le répit.
Kulob – Qal’ai Khumb
On prend la route aux aurores. Départ à la fraîche, ce qui signifie qu’à 6 h, on est déjà loin de Douchanbé. À peine sortis de la ville, la route commence à grimper. En quelques minutes, on atteint les 2 000 mètres d’altitude. L’air est plus frais, le paysage change, et on sent déjà l’isolement de la région.
Nous longeons le Panj, ce fleuve qui marque la frontière naturelle entre le Tadjikistan et l’Afghanistan. De l’autre côté, les paysages sont saisissants. De petits villages s’accrochent aux montagnes, composés de maisons aux toits plats entourées d’arbres, un véritable contraste avec l’environnement aride qui domine partout ailleurs. Ici, tout n’est que roche et poussière, un monde minéral où la nature ne laisse place qu’à l’essentiel.
Nous arrivons tôt à Qal’aï Khumb, pensant profiter d’un peu de répit avant d’attaquer la suite du trajet. Mais notre enthousiasme retombe vite. À la sortie de la ville, la route est dans un état catastrophique. Devant nous, 270 kilomètres de piste défoncée. Ça ne sera pas pour aujourd’hui. On fait demi-tour et on reporte cette épreuve à demain. Ça promet.
Nous profitons du temps qu’il nous est donné pour acheter de la colle à deux composants. Les routes sont tellement mauvaises que les fixations de nos caméras ont lâchés. Allez leur expliquer notre demande alors que nous ne nous exprimons pas en tadjiks.
Nous profitons également pour faire un peu de change. La banque ressemble plus à l’entrée d’un caveau à vin qu’à un établissement sécurisé.





Trois heures plus tard, nous avons parcouru environ 100 kilomètres. La progression est laborieuse, la route est à la fois poussiéreuse et accidentée. Chaque cahot nous secoue, chaque trou nous rappelle que ce voyage ne sera pas une simple promenade. Pourtant, sur la gauche, le paysage offre un contraste saisissant avec la rudesse du trajet. Les Afghans cultivent chaque parcelle de terre disponible avec une ingéniosité admirable. Ces champs, parfois minuscules, témoignent de leur détermination à faire fructifier le moindre lopin.


Soudain, la route est complètement bloquée. Nous sommes contraints à l’arrêt pendant trois longues heures. Des ouvriers ont miné la paroi surplombant la route. Maintenant, ils travaillent d’arrache-pied pour dégager un passage. Devant nous, un imposant camion militaire s’arrête également. Quelques minutes plus tard, un gradé en civile s’approche. À notre grande surprise, il organise une distribution générale : du pain beurré et du thé bien chaud sont offerts. Nous sommes invités à partager ce moment improvisé de convivialité. L’occasion est trop belle, d’autant plus que nous sommes partis sans prendre de petit-déjeuner.
Lorsque la route rouvre enfin, nous reprenons notre périple. Mais le voyage continue d’être éprouvant. À chaque cahot, nous avons l’impression d’être secoués comme des bouteilles d’Orangina. Chaque mètre parcouru met nos nerfs et nos muscles à rude épreuve. La moto aussi souffre de ce traitement. Je sens qu’elle ne réagit plus comme auparavant. Mais je n’ai pas le choix, il faut continuer…


Douze heures après notre départ, nous atteignons enfin notre étape du jour. Après 260 kilomètres de ce traitement, mon corps entier proteste. J’ai les os en compote, les muscles endoloris et une seule pensée en tête : vivement demain… ou peut-être pas !

Nous hésitons. Rester bien au chaud et au sec est tentant, mais nous ne sommes pas encore prêts à nous avouer vaincus. Finalement, nous décidons d’attendre un peu, voir si le temps s’améliore avant de prendre une décision définitive.
Vers la mi-journée, quelques rayons de soleil percent enfin à travers les nuages. Encouragés par cette éclaircie, nous envisageons de reprendre la route en direction du corridor de Wakhan. Mais le doute s’installe aussitôt. Le mauvais temps menace encore, et les prévisions annoncent deux jours de précipitations consécutives. Ajoutons à cela plus de 70 kilomètres de pistes sablonneuses en mauvais état… L’aventure devient un pari risqué.
Arrivés à une intersection cruciale, nous devons choisir : à gauche ou à droite ? L’excitation du voyage nous pousse à poursuivre l’aventure, mais la raison nous murmure qu’il vaut peut-être mieux ne pas forcer le destin cette fois-ci. Après quelques minutes d’hésitation, c’est la sagesse qui l’emporte (preuve que nous savons parfois être raisonnables !). À contrecœur, nous renonçons à notre projet initial.
Puisque l’étape sera plus courte, autant en profiter. Nous prenons notre temps pour photographier les paysages, filmer quelques scènes de notre périple et savourer ce moment de calme imposé par la météo.
Finalement, nous trouvons refuge dans une guesthouse bien chauffée, un luxe appréciable alors que le froid mordant s’installe dehors. Tout n’est pas luxe, mais ça reste appréciable.

Ce matin, le froid est bien présent. Nous prenons la route sous une fine giboulée, qui ajoute une touche encore plus rude à l’ambiance déjà austère. Les paysages qui nous entourent sont d’une beauté brute et sauvage, typiquement alpins.


De vastes étendues de steppe aride s’étendent à perte de vue, seulement traversées, par endroits, par un ruisseau sinueux qui serpente entre les rochers. Autour de nous, les montagnes se dressent, imposantes, gigantesques, nous rappelant à quel point nous sommes petits face à cette nature indomptable.
Mais impossible de se laisser distraire trop longtemps par le décor. La route est une véritable épreuve. Elle est dans un état déplorable, du même genre que celles que nous avons dû affronter ces derniers jours. Un véritable cauchemar pour la mécanique et pour nous. Je commence sérieusement à douter de la résistance de ma suspension arrière. Chaque bosse est un choc brutal, et je finis systématiquement en butée. À ce rythme, je vais finir avec des bleus aux fesses… Mais bon, on fera le point à Och si nécessaire.
Lorsque nous atteignons Murgab, la neige se met à tomber. Toute la journée, nous avons roulé à des altitudes avoisinant les 4000 mètres, et le froid est mordant. L’air est sec, glacial, presque irréel dans cette immensité silencieuse. Heureusement, nous avons réussi à faire le plein à la seule station du coin, un soulagement.
Demain, nous attendrons patiemment que le chasse-neige passe avant de reprendre notre route… mais je pense qu’il est à cinq jours de route…
Il a plu une bonne partie de la nuit, et l’humidité imprègne encore l’air ce matin. L’idée que des gens puissent vivre ici, dans ces conditions extrêmes, semble presque irréelle. Je n’ose imaginer la rudesse de l’hiver dans ces terres inhospitalières, où le froid et l’isolement doivent rendre la vie encore plus difficile.
Nous avions prévu de faire quelques provisions à Murghab, mais le petit marché où nous comptions nous ravitailler est fermé. Pas le choix, nous devons repartir ainsi, en espérant trouver de quoi manger plus tard sur notre route.
Le Pamir est un monde à part, un territoire où tout est hors norme. Ici, les distances semblent infinies, les montagnes s’élèvent à des hauteurs vertigineuses, les vallées s’étendent à perte de vue, et les rivières en crue balaient tout sur leur passage avec une puissance démesurée. Chaque élément du paysage donne une impression d’immensité qui nous rappelle à quel point nous sommes petits face à la nature.
Nous entamons une ascension interminable, grimpant toujours plus haut, jusqu’à atteindre un col situé à plus de 4 600 mètres d’altitude. L’effort en vaut la peine : le paysage est à couper le souffle. Impossible de ne pas immortaliser l’instant avec une photo avant de poursuivre notre route.
Un peu plus loin, nous croisons un motard indien sur une Royal Enfield. Il nous avertit que la route devient difficile après la douane et nous conseille de passer avant que la pluie ne complique encore davantage les choses. Son avertissement en tête, nous continuons notre progression jusqu’au poste-frontière.
Là, premier obstacle : le douanier nous réclame un document que nous n’avons pas. Il faut négocier, expliquer, insister… Après quelques échanges tendus, il finit par nous laisser passer. Un soulagement, mais pas pour longtemps.
Dès que nous amorçons la descente vers le Kirghizistan, la situation se complique. Il n’y a plus de route. Les récentes intempéries ont tout balayé. Nous avançons comme nous le pouvons, suivant une vague piste de fortune entre la boue, les pierres et la glaise. Vingt kilomètres de ce calvaire suffisent à nous glacer jusqu’aux os, malgré l’effort constant pour garder l’équilibre et progresser dans ces conditions extrêmes.
Enfin, nous atteignons la douane kirghize. Mais ici, un nouveau problème se pose : on nous demande une lettre d’invitation délivrée par le ministère du Tourisme. Nous n’en avons pas. Discussions, négociations, palabres… Rien n’y fait. Même un appel à un agent du tourisme ne change rien à la situation. Il est samedi, et avec le week-end, la meilleure hypothèse serait un passage autorisé mardi après-midi.
Nous n’avons pas d’autre choix que de patienter trois jours. Avec nous, une jeune Roumaine attend elle aussi sa fameuse lettre d’invitation. Heureusement, elle parle russe et parvient à envoyer une photo de nos documents à l’agent concerné. Il ne nous reste plus qu’à espérer et à prendre notre mal en patience. Jusqu’à mardi, il faudra s’adapter…
Après avoir accepté notre sort, nous nous sommes installés comme nous avons pu dans un vieux cabanon, usé par le temps et les intempéries. L’endroit est sommaire, mais au moins il nous protège du vent glacial qui souffle sans relâche. Le ventre vide, nous nous préparons à une longue attente. Heureusement, les douaniers, malgré leur intransigeance administrative, font preuve d’un peu d’humanité : ils nous apportent du pain. C’est peu, mais c’est déjà beaucoup dans notre situation.


Le temps passe lentement. L’après-midi s’étire, et nous nous résignons à patienter jusqu’à mardi. Mais soudain, vers 17 h, on frappe à la porte. Nous nous regardons, intrigués. Que se passe-t-il ?
En ouvrant, nous découvrons un douanier avec un air moins sévère que quelques heures plus tôt. Il annonce, comme si c’était la chose la plus banale du monde :
— C’est bon, vous pouvez y aller. On a reçu la lettre d’invitation.
Nous restons un instant figés, croyant à peine ce que nous venons d’entendre. Puis l’information fait son chemin, et c’est l’explosion de joie ! On plie bagages en quatrième vitesse, sans perdre une seconde. Un immense merci à la petite Roumaine, qui nous a probablement sauvé de trois jours d’attente interminable. Il faut dire qu’on avait mis un sacré bazar dans cette douane, entre nos allers-retours, nos négociations et nos coups de téléphone désespérés, sans parler des coups de gueule.
La nuit est tombée lorsque nous reprenons enfin la route. Autour de nous, l’obscurité n’est troublée que par la lueur de quelques yourtes dispersées dans l’immensité des steppes. Des yacks paissent paisiblement, indifférents à notre passage, silhouettes fantomatiques sous le ciel étoilé.
Nous avançons encore un peu avant de tomber sur une petite guesthouse. Sans réfléchir, nous décidons d’y passer la nuit. Une seule pensée nous traverse l’esprit : on verra bien demain. Après tout, on n’a pas un seul sou en monnaie kirghize… mais ça, c’est un problème pour plus tard !
Sary-Tash – Osh
L’étape du jour n’est pas particulièrement longue, ce qui nous permet de profiter d’un moment de détente bien mérité. Nous nous laissons aller à la paresse, savourant ces instants où le temps semble suspendu.


Lorsqu’enfin nous sortons, un spectacle grandiose s’offre à nous : les montagnes qui nous entourent sont entièrement recouvertes de neige immaculée. Sous les rayons du soleil, le contraste entre le blanc éclatant des sommets et le bleu intense du ciel est d’une beauté saisissante.
Après un petit déjeuner copieux et revigorant, il est temps de préparer les motos. Nos hôtes, toujours souriants et bienveillants, tiennent à s’assurer que notre séjour s’est bien déroulé. Leur hospitalité nous touche une fois de plus. Puis vient le moment du départ.
Très vite, nous reprenons de l’altitude, et l’air se rafraîchit instantanément. Le long de la route, nous apercevons plusieurs camps traditionnels composés de yourtes blanches, dressées au milieu des vastes steppes. Ici, le cheval règne en maître. À perte de vue, des troupeaux de moutons paissent paisiblement, surveillés de près par des bergers à cheval. Tout laisse à penser que nous sommes en pleine période de transhumance.



Au fil des kilomètres, le paysage change peu à peu. Nous redescendons vers la plaine et la température grimpe rapidement. L’air frais des montagnes laisse place à une chaleur écrasante alors que nous arrivons à Och. Le contraste est saisissant.
Osh
Raconter la journée d’hier (lundi) n’est pas une mince affaire tant elle a été riche en péripéties, du matin jusqu’à tard dans la nuit.
Tout commence à 8h30 avec le petit-déjeuner. En arrivant dans la salle, nous découvrons que soixante gamins ouzbeks sont passés avant nous, ne laissant derrière eux que des miettes et un fond de café. Pas idéal pour démarrer la journée, mais on prend malgré tout notre temps avant d’attaquer le programme.
Direction Zorro Moto, sous une chaleur déjà étouffante. Sur place, Jack, notre hôte, nous accueille chaleureusement. Il se propose d’assurer l’entretien des motos et d’installer de nouvelles suspensions. Les sensations ressenties sur le Pamir se sont confirmées, mes suspensions arrières sont mortes. C’est à ce moment-là que nous découvrons une tuile : un joint spy de la moto de Denis fuit. Mauvaise nouvelle… Il va maintenant falloir faire venir les pièces nécessaires jusqu’ici.
Heureusement, j’ai des suspensions d’origine qui dorment dans mon garage en Suisse. Sans perdre une minute, je réveille Zach, qui dort profondément, et je lui explique, webcam à l’appui, où trouver ce dont nous avons besoin. Il doit également faire un passage à l’agence BMW pour acheter les fameux joints.
Une fois le matériel réuni, reste encore un problème de taille : l’acheminement. Le délai estimé est de 5 à 10 jours, une éternité. On explore donc toutes les options possibles. Zach coordonne les recherches : envoi à Osh, Bichkek, Almaty ? En parallèle, Linda, de chez Gotec, se joint aux efforts pour trouver une solution.
Et là, coup de théâtre : Paf, qui suit notre périple, entre en scène. Il nous envoie les coordonnées de Beat, un habitué des voyages au Kirghizistan. Sans perdre de temps, nous échangeons par mail avec lui et attendons une réponse.
Entre deux recherches logistiques, nous faisons la connaissance de deux motards qui viennent de Thaïlande et rentrent au Danemark. Ils logent dans le même hôtel que nous. Le soir, autour d’une bière et d’un bon repas, nous échangeons anecdotes et conseils. C’est ainsi que nous réalisons qu’une lettre d’invitation aurait pu nous éviter bien des tracas à notre arrivée au Kirghizistan…
En rentrant à l’hôtel, nous consultons nos messages. Beat a répondu ! Il arrive jeudi à Osh et accepte de nous ramener les pièces. Une aubaine ! Seul hic : il décolle de Zurich mercredi, mais habite près du lac de Constance. Il faut donc encore une dernière coordination. Heureusement, Zach est partant pour traverser la Suisse et tout récupérer à temps.
Il est déjà minuit ici, et nous croisons les doigts pour que tout se passe bien mardi. Cette journée nous aura prouvé une chose essentielle : il est formidable de pouvoir compter sur ses amis, et même à plus de 10 000 kilomètres, la distance n’est qu’un détail quand la solidarité est au rendez-vous.
Un immense merci à Zach, Claude, Paf, Linda et Beat pour leur aide précieuse et leur disponibilité. Pour la suite… on verra bien ! Après tout, la vie est pleine de surprises.
Osh
Comment dire… disons que « l’enfant se présente plutôt par le siège ». En d’autres termes, tout ne se passe pas exactement comme prévu.
La bonne nouvelle, c’est que les pièces sont bien arrivées. Un vrai soulagement après toute l’organisation nécessaire pour les faire venir jusqu’ici. Mais bien sûr, il fallait que quelque chose cloche : il manque un anneau de blocage. Un petit détail, mais qui pourrait bien compromettre toute l’opération.


Déjà, nous avions eu un mauvais pressentiment en voyant les mécanos s’attaquer au démontage de la suspension en place. N’ayant pas l’outil adapté sous la main, l’un d’eux a eu la brillante idée de le modifier à la meuleuse pour l’adapter à la situation. Autant dire que ça ne nous a pas vraiment rassurés…


Maintenant, nous espérons qu’ils pourront récupérer l’anneau manquant sur l’ancienne suspension. J’ai des doutes, mais mieux vaut ne pas désespérer trop vite.
Dans tous les cas, il va falloir étudier plusieurs alternatives, au cas où ce plan ne fonctionne pas. On n’a pas fini de jouer aux mécanos…
Osh
Hors de question de se laisser abattre ! Pour la cinquième soirée consécutive, nous retournons au même restaurant. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est le seul endroit où l’on peut savourer une bonne bière. Autant dire que le choix est vite fait !
Ce soir, nous faisons la rencontre de Kouba, un personnage haut en couleur. Il se présente comme un éminent membre des forces spéciales kirghizes, un haut dignitaire du pays. Rien que ça ! Impossible de vérifier ses dires, mais son assurance et son charisme suffisent à nous convaincre qu’il n’est pas n’importe qui.
Il tente de nous expliquer qu’il est déjà venu en Suisse. Petit détail : il ne parle ni français, ni anglais. La conversation se transforme rapidement en un échange fait de gestes, de mimiques et de quelques mots épars. Malgré tout, on parvient à se comprendre…
Et c’est là que la magie opère : après quelques signes et éclats de rire, nous nous retrouvons avec plusieurs tournées de bières supplémentaires. Une intention de Kouba… Elle est pas belle, la vie ?
Osh
Ce matin, un message surprenant nous attend : nos motos sont prêtes. Franchement, j’avais du mal à y croire. J’étais même persuadé que Denis me faisait marcher. Après toutes ces galères, on avait presque fini par ne plus en vouloir de ces motos !
Avant de les récupérer, on fait un détour pour changer de l’argent. Petite péripétie : la dame au comptoir déclare que deux de mes billets sont faux. Ni une ni deux, je lui rends la pareille et fais mine de trouver ses billets suspects. Rien de bien sérieux, surtout qu’il s’agissait d’un billet de… 20 centimes. La caissière ne se laisse pas désapointer pour autant. Elle reprend ses billets suspects et me rend l’équivalent en monnaie. Je me retrouve avec une grosse poignée de pièces qu’il va falloir caser dans un petit porte-monnaie. Fou rire général.
On file ensuite récupérer nos motos, et quel plaisir de les voir enfin entières plutôt qu’en pièces détachées ! Pour fêter ça, on décide de prendre un petit détour avant de retourner à l’hôtel. Rien de bien fou… juste 8 km de plus.
Sauf que, bien évidemment, un nouveau problème surgit : la moto de Denis fait un bruit étrange. On jette un œil et là, on comprend : les gars du garage ont tellement serré les écrous et boulons que la pince de frein frotte carrément sur le disque. Pas le choix, on sort la caisse à outils et on s’y met.
Après cette réparation improvisée, nos gosiers réclament un rafraîchissement. Direction notre quartier général habituel pour une bière bien méritée.
En chemin, on fait une pause pour acheter un bocal de cornichons. Pourquoi ? Pour le couvercle. Avec cette chaleur infernale, la moto s’est enfoncée de 2 cm dans le goudron dès que je l’ai posée. Un petit couvercle en métal sous la béquille ne sera pas de trop pour éviter ça la prochaine fois.
Arrivés au restaurant, on retrouve Kouba, toujours aussi enthousiaste. Cette fois, sa femme et ses fils sont avec lui. On échange quelques mots (et beaucoup de gestes), et c’est là qu’il nous invite chez lui demain à 15h pour partager un repas en famille.
L’hospitalité kirghize dans toute sa splendeur…
Osh
Nous débutons la journée par une virée en moto, histoire de nous assurer que les travaux réalisés tiennent bon. Le simple fait de retrouver notre bécane et de sentir le vent sur notre visage nous procure un plaisir immense. Rien de tel que de reprendre la route pour se sentir dans son élément.
L’après-midi est marqué par un rendez-vous important : à 15 heures, nous sommes attendus chez la famille de Kuba. À notre arrivée, nous sommes accueillis avec une hospitalité digne de rois. La table est copieusement garnie de mets locaux : des fruits frais, une soupe aux légumes savoureuse, du yaourt maison, du poisson délicatement préparé, ainsi qu’un riz à la viande, une spécialité de la région qui nous régale. Après un tel festin, nous repartons le ventre plein, rassasiés au point de nous sentir aussi ronds qu’un ballon de football !
Mais au-delà du repas, c’est surtout la rencontre avec cette famille qui nous marque. Kuba, le chef de famille, un homme généreux et influent, est un véritable mécène pour sa région, toujours prêt à soutenir ceux qui en ont besoin. Grâce à lui, nous repartons avec des contacts précieux : le général des armées, le commandant des douanes et bien d’autres figures clés. Désormais, nous avons les bonnes cartes en main pour la suite de notre aventure.
Osh – Arslanbob
Nous quittons enfin Osh, prêts à reprendre la route et à découvrir de nouveaux horizons. La journée ne se distingue pas par des événements marquants, mais une chose est sûre : la chaleur est accablante. Le soleil tape sans relâche, rendant chaque kilomètre plus éprouvant que le précédent.
Pour échapper à cette fournaise, nous décidons de nous aventurer en altitude, espérant y trouver un peu de fraîcheur. Petit à petit, le paysage change, la route devient plus sinueuse, et l’air se fait enfin plus respirable. Après plusieurs heures à rouler à travers des vallées reculées et des montagnes imposantes, nous avons l’impression d’atteindre le bout du monde.
C’est ici, au cœur de ce décor sauvage et isolé, que nous trouvons refuge pour la nuit. Une petite guesthouse, simple mais accueillante, fera parfaitement l’affaire. L’endroit est modeste, mais l’essentiel est là : un toit pour dormir, un repas chaud et le calme absolu d’une nature préservée.
Nous avions imaginé un itinéraire pour le moins audacieux : une piste sinueuse traversant la montagne, avec deux à trois passages de rivière à franchir et une montée en lacets jusqu’à atteindre les 3000 mètres d’altitude. Un parcours exigeant, certes, mais qui promettait une belle aventure.
Seulement, la météo en a décidé autrement. Une bonne partie de la nuit, la pluie n’a cessé de tomber, détrempant sûrement les sentiers et rendant notre itinéraire initial impraticable. Une coïncidence ? Peut-être pas… On aurait presque dit que quelqu’un avait choisi à notre place.
Face à ces nouvelles conditions, nous prenons la décision de contourner la zone. Après une centaine de kilomètres, la route devient enfin agréable : elle se met à serpenter joliment entre les reliefs, offrant des virages taillés pour le plaisir de la conduite. Nous longeons alors un lac artificiel dont l’eau, d’un bleu cristallin, nous attire immédiatement. L’idée d’une baignade nous traverse l’esprit, mais il suffit d’un instant de réflexion pour comprendre que l’eau doit être glaciale. L’envie est là, mais la raison l’emporte.
Nous poursuivons notre route, déterminés à atteindre notre destination : le lac Toktogul.

Pour compenser la journée d’hier, nous avons prévu une longue étape à travers la montagne. Un parcours de 150 km, qui nous permettra de rejoindre notre prochaine destination en empruntant des pistes plus sauvages et isolées.
Dès que nous quittons la route principale, le paysage se transforme instantanément. Comme par enchantement, les collines surgissent autour de nous, recouvertes d’un vert éclatant. Les pâturages sont luxuriants, l’herbe y pousse en abondance, et une myriade de fleurs sauvages parsème la prairie, offrant un spectacle haut en couleur. L’endroit est si magnifique que nous nous arrêtons fréquemment pour prendre des photos, savourant chaque instant.



Jusqu’au village d’Almalu, la piste reste facile, agréable même. À notre arrivée, nous sommes immédiatement plongés dans l’effervescence locale. Une foule se presse sur la place du village, transportant dans de simples sacs en plastique du pain et une sorte de bouillie de viande. Curieux, mais aussi légèrement méfiants, nous nous laissons tenter. Impossible d’y échapper : on nous tend un morceau, et pas un petit ! Assis sur nos motos, nous goûtons cette spécialité locale. La texture est étrange, le goût assez neutre, et le tout a une fâcheuse tendance à se coincer entre les dents. Peut-être que cela nous tiendra au ventre pour la suite du trajet !
Jusqu’ici, tout va bien. Mais il nous reste encore 80 km à parcourir, et voilà que le ciel s’assombrit dangereusement. De lourds nuages noirs s’amoncellent au-dessus de nous, annonçant une météo bien moins clémente. Nous décidons de continuer malgré tout. La piste devient plus étroite, plus technique, et la montée se fait de plus en plus raide. Comme prévu, la pluie finit par tomber. Impossible de faire demi-tour, nous n’avons d’autre choix que de progresser sous cette averse battante.
Lorsque nous atteignons enfin le col, la pluie a presque cessé. Un léger brouillard flotte encore, rendant l’atmosphère mystique. Nous avons même la chance d’assister à une scène surprenante : une joute équestre traditionnelle.
Le jeu consiste à s’emparer d’une carcasse de chèvre et à la protéger coûte que coûte des autres cavaliers lancés à sa poursuite. Le spectacle est fascinant, mais nous ne pouvons pas nous éterniser. Il nous reste encore une descente à affronter, et elle s’annonce compliquée.
Effectivement, la piste s’est transformée en une véritable patinoire. La boue rend chaque virage périlleux, et nos motos glissent dangereusement. Après quelques frayeurs et plusieurs manœuvres délicates, nous devons nous rendre à l’évidence : continuer dans ces conditions serait trop risqué. Nous décidons donc de planter la tente et de remettre la suite du trajet à demain.
Alors que nous nous installons, nous recevons la visite des enfants des yourtes voisines. Timides mais curieux, ils nous apportent de petites boules de fromage de jument, un cadeau inattendu mais apprécié.
Pour le repas du soir, nous faisons simple : couscous agrémenté de ce fromage local. Un dîner improvisé sous notre tente, bercés par le silence de la montagne et l’humidité persistante de la pluie. Demain sera un autre jour, et avec un peu de chance, les conditions seront plus favorables pour poursuivre notre route.

Pas évident de trouver le sommeil au milieu de cette véritable ménagerie. Autour de notre tente, c’était un véritable festival animalier : chèvres, moutons, chevaux, chiens, ânes… Il y en avait de toutes les tailles, de toutes les couleurs et, à en juger par le concert nocturne, de toutes les vocalises possibles.
Au petit matin, nous nous réveillons avec les premiers rayons du soleil. L’air est encore frais, la rosée scintille sur l’herbe, et nous prenons le temps d’attendre que tout sèche avant de repartir. Pour le petit déjeuner, c’est minimaliste… J’avais complètement oublié les croissants à l’hôtel. Tant pis, on fera sans.
À 10 heures, le sol semble suffisamment sec. Nous enfourchons nos motos avec enthousiasme et reprenons la route. Mais après seulement 100 mètres, l’évidence s’impose : nous avons eu raison de camper ici la veille.
Durant la nuit, plusieurs camions ont emprunté cette piste, la labourant en profondeur. Par endroits, la route est complètement défoncée, marquée par d’immenses ornières creusées par le passage successif des véhicules. Et ce n’est que le début. Très vite, nous nous retrouvons face à des passages boueux où la moindre tentative d’avancer tourne au défi d’équilibriste. La terre est si détrempée que même à pied, il est difficile de rester debout. Chaque mètre parcouru est une bataille, et le chemin semble interminable.
À chaque fois que nous croyons avoir franchi le pire, une nouvelle vallée surgit devant nous, aussi escarpée et éprouvante que la précédente. L’effort est constant, la fatigue s’accumule, mais nous n’avons pas d’autre choix que de continuer.
Enfin, nous apercevons un village. Une bonne nouvelle ? Pas forcément. La descente qui nous y mène est abrupte, et la piste est tout aussi tourmentée qu’auparavant. À vrai dire, je ne sais même plus ce qui est le pire : les ornières remplies de boue, où nos roues s’enfoncent comme dans un marécage, ou celles qui sont sèches et dures comme du roc, transformant chaque secousse en un supplice pour nos bras et nos motos.
Puis, comme un mirage après l’enfer : le bitume.
Nous venons de retrouver une route digne de ce nom. Un soulagement immense. Pour célébrer ça, nous nous arrêtons dans un vieux café du village. L’endroit a vécu, les murs sont défraîchis, mais peu importe : on a surtout besoin de nous désaltérer. Le serveur nous sert un jus de pomme coupé à l’eau. À la première gorgée, on ne sent même pas le goût tant nous sommes assoiffés. Les premiers verres disparaissent en un instant.
Nous sommes épuisés, le corps endolori, mais en fin de compte, cette journée restera gravée dans nos mémoires. Certes, le parcours fut éprouvant, mais il nous a offert des paysages grandioses, des panoramas à couper le souffle. Quant aux habitants de cette région, ils ont toute notre admiration. Petits, robustes, infatigables…
Ymah – Son Kul
Alors que nous roulons, un panneau attire notre attention : Son Kul – 15 km. La tentation est forte. D’autant plus que notre itinéraire initial prévoit plus de 250 km de route. Pourquoi s’infliger une telle distance alors qu’un raccourci semble nous tendre les bras ?
Sans trop hésiter, nous faisons un détour pour acheter quelques provisions, puis nous nous engageons sur la piste menant à Son Kul. La route est agréable, plutôt facile, et à mesure que nous avançons, le paysage devient de plus en plus spectaculaire.
Arrivés à une bifurcation, nous choisissons de prendre à droite, allez savoir pourquoi… La montée est raide, mais ça passe. Un peu plus loin, une seconde bifurcation se présente. Cette fois, un doute nous assaille. Nous décidons de sortir le GPS. Et là, surprise : nous ne sommes pas du tout au bon endroit ! Après quelques minutes d’analyse, nous réalisons qu’une autre piste, partant sur la droite, pourrait nous ramener vers notre destination. Elle s’étend sur 30 kilomètres et n’est pas répertoriée comme particulièrement praticable. Mais à ce stade, nous n’avons plus grand-chose à perdre. On tente le coup.



Nous traversons d’immenses pâturages verdoyants, où les troupeaux paissent paisiblement sous le regard de cavaliers nomades. La piste grimpe progressivement vers un col qui semble tout droit sorti d’un rêve. Plus nous montons, plus le terrain devient hostile : caillouteux, rocailleux, et toujours plus escarpé.


En chemin, nous croisons un Français accompagné de ses chevaux. Un véritable aventurier. Il nous salue chaleureusement et, voyant Denis en difficulté, il nous aide à sortir sa moto d’un passage compliqué. Grâce à lui, nous évitons de longues minutes de galère.
Lorsque nous atteignons enfin le col, le spectacle qui s’offre à nous est tout simplement grandiose. Devant nous, une immense prairie fleurie s’étend à perte de vue. Et là, en contrebas, comme posé sur un écrin de verdure : le lac bleu de Son Kul, brillant sous la lumière du jour.



Nous entamons la descente, oscillant entre la piste et les vastes pâturages. L’impression est irréelle : rouler ici, au milieu de ce décor, procure une sensation de liberté absolue.
Mais l’euphorie est de courte durée. Alors que je me laisse porter par le paysage, je ne vois pas venir le trou. Pas un simple nid-de-poule, non… Un trou de compétition, un cratère ! Il aurait pu klaxonner pour prévenir ! En une fraction de seconde, c’est la chute. Une gamelle magistrale.
Lorsque nous redressons la moto, l’avant accuse sévèrement le coup. Une rapide inspection confirme le problème : tout est de travers. Avec quelques colsons et un peu d’ingéniosité, nous rafistolons tant bien que mal la bécane pour pouvoir repartir.
Nous reprenons la route, cherchant un emplacement idéal pour établir notre bivouac. Assez proche du lac pour profiter de la vue, mais suffisamment éloigné des troupeaux pour éviter d’être réveillés en pleine nuit par des visiteurs à quatre pattes.
Enfin arrivés, j’ouvre mon top case pour sortir de quoi préparer le repas. Et là… catastrophe. Mon pot de sauce tomate s’est cassé. Il y en a partout. Entre les affaires, les ustensiles… Un véritable carnage rouge. Heureusement, il en reste assez pour concocter un dîner improvisé : pâtes, saucisse, reste de sauce, et pour relever le tout, un peu de ces fameuses boules de fromage locales.
Denis goûte avec un air sceptique. Son silence en dit long. Je crois qu’il n’est pas fan de ma cuisine… Mais après une journée pareille, tout passe. Même les pâtes au fromage de jument !

Nous quittons le camp sous un soleil éclatant, entourés d’un océan de fleurs sauvages. Partout autour de nous, des champs d’edelweiss s’étendent à perte de vue, créant un décor absolument féérique. L’air est frais, chargé des parfums délicats de la montagne, et nous avançons avec enthousiasme sur la piste.
Rapidement, nous arrivons à une bifurcation où nous devons tourner à gauche, mais la piste à suivre est à peine visible, dissimulée par la végétation et l’irrégularité du terrain. Après quelques hésitations, nous décidons de poursuivre en direction d’une yourte aperçue un peu plus loin afin de demander notre chemin. L’accueil est chaleureux, mais la communication se révèle un véritable défi : parler kirghize n’est pas notre point fort. Malgré tout, avec beaucoup de gestes, de rires et une bonne dose de patience, nous finissons par nous faire comprendre.
Comme à notre habitude, nous ne sommes pas tout à fait dans la bonne direction… mais pas totalement perdus non plus ! Un Kirghiz bienveillant nous indique le chemin à suivre et, voyant notre air perplexe, décide finalement de nous accompagner jusqu’à la piste correcte. Un vrai coup de chance !
En fin presque…, Denis réalise tout à coup qu’il n’a plus son natel. Nous rebroussons chemin, mais rien, pas l’ombre d’un téléphone. Résignés, nous devons abandonner nos recherches et poursuivons notre route.
Arrivés au col, nous nous arrêtons un moment pour admirer la vue avant d’entamer la descente. Celle-ci s’annonce exaltante : une série infinie de virages serpentant à travers la vallée. L’adrénaline monte, le vent fouette nos visages… Un pur bonheur !
Naryn – Balykchy
Hier, la pluie n’a pas cessé de tomber une seule seconde. Un véritable déluge, à ne pas mettre une grenouille dehors ! Face à cette météo exécrable, nous avons opté pour une journée en mode marmotte, bien au chaud sous les couvertures, à écouter la pluie.
Aujourd’hui, les prévisions sont un peu plus clémentes : pas de pluie annoncée avant l’après-midi. C’est l’occasion rêvée pour reprendre la route et pousser jusqu’à Balykchy, une petite ville située sur les rives du lac Issyk-Koul.


À notre arrivée, nous dénichons un hôtel qui date de l’époque soviétique. Son architecture austère témoigne d’un passé révolu, figé dans le temps. Entre l’hôtel et le lac, une voie ferrée désaffectée rappelle que, jadis, les trains circulaient ici, transportant marchandises et travailleurs vers les usines locales. Mais avec le départ des Soviétiques, l’industrie s’est éteinte et les trains ont cessé de rouler, laissant derrière eux un paysage marqué par l’abandon.
L’hôtel, lui, tient encore debout, bien qu’il affiche les stigmates des années et du manque d’entretien. Les murs ont perdu de leur éclat, les portes grincent et peinent à se fermer correctement, et une piscine ainsi qu’une fontaine trônent dans la cour… mais sans une goutte d’eau. Malgré tout, l’endroit a son charme et, pour 10 € par personne, c’est presque le grand luxe ! Un toit, un lit, et même une touche de nostalgie soviétique, que demander de plus ?
Nous reprenons notre chemin en empruntant l’autre rive du lac. Avant de quitter Karakol, nous faisons une halte pour visiter une église orthodoxe. Construite entièrement en bois, elle témoigne d’un savoir-faire architectural remarquable et dégage une atmosphère empreinte d’histoire et de spiritualité. L’intérieur, orné d’icônes et de fresques, nous plonge dans une autre époque.


Pour le reste du trajet, il n’y a pas grand-chose de notable à signaler. Comme toujours, l’activité chinoise est omniprésente, avec des infrastructures en constante évolution et un flux incessant de camions et de travailleurs. De ce fait, la route n’est pas goudronnée sur la grande majorité du parcours. La terre argileuse est glissante et nous devons prêter une attention particulière à nos trajectoires.
Cependant, une véritable récompense nous attend sur les 80 derniers kilomètres du parcours. Le paysage y est tout simplement enchanteur : des vallées verdoyantes s’étendent à perte de vue, encadrées par des montagnes majestueuses, tandis que la route serpente à travers une nature préservée, offrant des panoramas à couper le souffle. Ce tronçon final, baigné dans une lumière dorée en fin d’après-midi, nous laisse un souvenir impérissable de cette région.
Le trajet se déroule dans d’excellentes conditions : la route est en parfait état, un véritable tapis roulant qui nous permet de maintenir une belle moyenne. Pas la moindre trace de neige accumulée sur les bas-côtés. En revanche, la chaleur est accablante. Le soleil tape si fort qu’on hésite presque à enfiler un pull… pour rire bien sûr ! À midi, le thermomètre affiche un écrasant 42°C. L’air brûlant nous enveloppe, transformant chaque pause en une quête désespérée d’ombre et de fraîcheur.
Tout au long du trajet, nous remarquons une présence impressionnante de radars. Ils sont littéralement postés tous les kilomètres, alignés avec une précision militaire. Curieusement, ils sont tous placés sur l’autre voie, bien à l’abri sous les rares zones d’ombre. Pas folle la guêpe ! Ces petits malins ont bien compris où se mettre pour ne pas griller sous le soleil écrasant. Quant à nous, nous avons scrupuleusement respecté les limitations… évidemment !
À notre arrivée à Bichkek, nous dénichons un hôtel parfait, avec un bonus inattendu : un véritable enclos sécurisé pour nos motos. Une cage en métal, comme une mini-prison, histoire d’éviter que nos fidèles montures ne décident de filer en douce pendant la nuit. Denis, dans son talent habituel de négociateur, parvient à décrocher un bon prix pour notre séjour. Il ne nous reste plus qu’à nous installer, nous détendre et décider de la suite du programme.





Dès l’approche, son dôme imposant capte la lumière du ciel, tandis que ses minarets élancés percent l’azur, semblant guider les prières vers l’infini. L’intérieur, à la fois sobre et somptueux, déploie une harmonie de motifs floraux délicats, de calligraphies élégantes et de carreaux bleus scintillants, créant une atmosphère où le divin et l’artistique se fondent en une parfaite symbiose.




Nous nous lançons alors dans une partie de Tetris… à l’envers ! Cette fois, il ne s’agit pas d’empiler, mais de déconstruire pour libérer nos fidèles montures. On soulève, on tire, on pousse, on fait glisser—un véritable jeu d’adresse et de patience. Après quelques efforts et quelques gouttes de sueur, les motos sont enfin dégagées.
À l’ombre, nous en profitons pour peaufiner quelques réglages avant de prendre la route : installation du support GPS, fixation de la caméra, ajustement de la bagagerie… Mais la chaleur est écrasante. Chaque outil métallique est brûlant, rendant la moindre manipulation douloureuse. Impossible de tenir une clé sans risquer de se brûler les doigts.
Finalement, la chaleur a raison de notre motivation. Nous nous réfugions sous la climatisation, remettant les derniers ajustements à plus tard. Après tout, la route peut bien attendre encore un peu !
Et c’est reparti, cap sur Almaty ! Il fait déjà une chaleur écrasante, et nous espérons arriver avant que le mercure ne grimpe encore plus haut.
Après quelques kilomètres à avaler l’asphalte brûlant, la frontière se profile à l’horizon. À 500 mètres, un immense bâtiment administratif s’impose dans le paysage. Pas de doute, nous approchons de la douane. Tout à coup, un coup de sifflet retentit, strident et impitoyable. Un fonctionnaire, vissé sous sa casquette en quête désespérée d’ombre, nous fait de grands signes avec son bâton lumineux. Arrêt immédiat.
Nous avons manqué un stop. Un détail ? Pas vraiment, car ce fameux panneau était sournoisement dissimulé sous un parasol. Un peu ironique, non ?
— Document ! lance-t-il d’un ton sec, articulant chaque syllabe comme s’il s’adressait à des enfants distraits.
Sous son regard sévère, nous garons nos motos et entrons dans une petite guérite. L’homme, qui semble avoir fait du sifflet son instrument de prédilection, nous invite à nous asseoir. Il examine nos papiers, tapote sur son téléphone et, grâce à Google Translate, nous annonce la sentence : 150 francs d’amende.
Nous protestons aussitôt. Ce maudit panneau était invisible, caché sous son parasol ! Le douanier réfléchit un instant, puis, dans un élan de générosité feinte, abaisse l’amende à 100 francs… avec un reçu. Toujours pas question ! Nous tenons bon, refusant de payer quoi que ce soit. Agacé, il marmonne quelque chose que Google aurait probablement traduit par « Foutez-moi le camp ». Message reçu. Nous voilà libres, sans avoir déboursé un centime. Fiers d’être Valaisans !
Nous arrivons enfin au véritable poste de douane. Il fait « 37,2 degrés le matin », mais sans Béatrice Dalle pour égayer la situation. Pour échapper au soleil de plomb, nous cherchons un peu d’ombre, nous faufilant entre les camions brûlants. L’air est irrespirable, et je commence sérieusement à me sentir comme un hareng en train de sécher.
Une heure et demie plus tard, nous avons enfin terminé les formalités. Mes vêtements sont trempés, pas un poil de sec sur moi. L’enfer du bitume ne fait que commencer.
Nous reprenons la route en direction d’Almaty. Le paysage est aride, impitoyable. Ici, le soleil ne laisse aucune chance à l’herbe verte. Tout est grillé, calciné. Une terre brûlée qui semble crier sous la chaleur accablante.
Après des kilomètres d’asphalte écrasant, nous arrivons à Almaty en même temps que les 40 degrés « sous le soleil exactement ». Le soleil est impitoyable, la circulation infernale. Les voitures avancent au ralenti, embouteillées dans une fournaise de pollution et de klaxons.
Pas question de continuer plus loin. Dès que nous apercevons un hôtel, nous nous y engouffrons sans hésiter. Une bouffée d’air frais nous accueille, et nous nous laissons tomber sous la climatisation salvatrice. La chaleur nous a épuisés, mais une bière bien fraîche fait rapidement oublier cette fournaise. Une gorgée, puis une autre… et elle passe d’un trait.
Almaty -Taldyqorghan
Nous quittons l’hôtel en direction de la cathédrale de Zenkov. Le soleil tape déjà fort : 37 degrés au compteur, et la journée ne fait que commencer. Autant dire qu’on a une belle marge avant d’atteindre le point de fusion.
Nichée au cœur du Parc Panfilov, la Cathédrale de Zenkov est l’un des édifices religieux emblématiques. Avec ses façades aux couleurs vives et ses coupoles dorées, elle évoque un conte de fées architectural, contrastant avec la verdure environnante du parc.
Construite entre 1904 et 1907, cette cathédrale orthodoxe est l’une des rares au monde à être entièrement en bois – et ce, sans l’usage d’un seul clou en métal !
L’extérieur est une explosion de couleurs : des nuances de jaune, de bleu et de blanc qui illuminent ses façades, tandis que ses cinq coupoles dorées surmontées de croix orthodoxes scintillent au soleil. L’intérieur, tout aussi impressionnant, dévoile des icônes finement peintes, des fresques détaillées et un splendide iconostase, véritable chef-d’œuvre d’art sacré.



Côté itinéraire, pas besoin de carte ni de GPS : il n’y a qu’une seule route. Une sorte d’autoroute version kirghize. Ici, la limitation de vitesse est fixée à 140 km/h, mais on y croise de tout : des tracteurs laborieux, des moissonneuses en pleine balade et même quelques véhicules qui avancent… en marche arrière. Un concept surprenant, mais visiblement accepté localement. On devine que les autres routes du pays ne doivent pas être toutes goudronnées, et ce ruban d’asphalte est probablement la meilleure option disponible.
Les paysages défilent, immenses, à perte de vue. Rien à voir avec la plaine du Rhône, trop étriquée en comparaison. Ici, c’est vaste, très vaste. Difficile à décrire : un truc qui va de là… à là. Enfin, tu vois l’idée.
Après plusieurs dizaines de kilomètres sous un soleil de plomb, un événement inattendu se produit : la température chute brutalement. On passe de 38 à… 35,5 degrés. Un refroidissement aussi soudain me fait presque frissonner. Un peu plus, et je sortais la polaire.
Les stations-service sont rares dans cette immensité. Nos motos ne consomment pas énormément, mais c’est surtout pour nous que ces arrêts sont vitaux. Seuls endroits où l’on trouve des boissons fraîches, elles deviennent nos oasis improvisées. On en profite aussi pour tremper nos t-shirts à grandes eaux, un stratagème rudimentaire mais diablement efficace pour supporter la chaleur une fois de retour sur la route.
Après plus de 200 kilomètres avalés dans cette fournaise, nous apercevons enfin une station-service. Sans hésiter, nous nous arrêtons. On a eu notre dose pour aujourd’hui.
Prochaine mission : trouver un hôtel. Une douche froide, un peu de fraîcheur et, si tout se passe bien, une bière bien méritée.
Taldyqorghan – Aïagouz
Cette fois, on ne s’est pas plantés ! Réveil à 4h30, départ à 5h pétante. Une organisation quasi militaire… ou du moins un effort considérable pour deux voyageurs qui aiment pourtant prendre leur temps. La motivation ? Échapper à la fournaise de la journée.
L’hôtel où nous avons dormi n’était pas des plus reposants. Beaucoup de bruit, des allées et venues incessantes… Bref, un lieu de « pas sage » qui ne nous laissera pas un souvenir impérissable. Mais tant mieux : ça nous a donné une bonne raison de décoller tôt.
Malgré l’heure matinale, il fait déjà un solide 25 degrés. L’air est tiède, et on sent bien que ça ne va faire qu’empirer. La route est toujours agréable. Heureusement, les Chinois sont à l’œuvre et une grande partie du trajet bénéficie d’un revêtement flambant neuf, un luxe.
Après un peu plus d’une heure et demie de roulage, nous faisons une pause. Un café s’impose. Histoire de profiter du calme avant que la chaleur ne devienne insupportable.
Mais déjà, le thermomètre grimpe doucement. Parfois, nous sommes contraints de quitter la route principale et de nous aventurer sur des pistes en contrebas. Certains tronçons sont encore en travaux. Et là, retour aux classiques : du gravier, de la boue, des trous à n’en plus finir… Tout ce qu’on aime ! En quelques secondes, nous sommes trempés de sueur.
Une petite halte s’impose pour goûter aux melons vendus sur le bord de la route. Frais, juteux… Une vraie bénédiction sous cette chaleur.



Alors que nous reprenons la route, un événement pour le moins surprenant se produit : nous essuyons un véritable tir de barrage de sauterelles 🦗🦗🦗. Propulsées à toute vitesse, elles viennent s’écraser contre nous comme des projectiles de mitraillette. Certaines frappent le casque, d’autres ricochent sur la visière, et quelques-unes finissent même sur nos vêtements. Un assaut digne d’un mauvais film de science-fiction.
Le tireur n’est peut-être pas très habile, mais l’intensité de l’attaque rappelle presque celle d’un attentat raté contre Trump. Heureusement, mon casque m’a sauvé.
Finalement, nous atteignons notre destination. Nous trouvons un hôtel avec un garage pour nos motos.
Mais en face de l’hôtel, surprise : un mariage est en cours. La musique est forte, les invités sont nombreux, et vu l’ambiance, la fête ne risque pas de se terminer de sitôt.



Aïagouz – Semey
On ne change pas une idée qui gagne.
Le réveil sonne à 5 h du matin. Il est temps de reprendre la route. Le moteur ronronne dans l’air encore frais de l’aube, et nous nous élançons dans cette nouvelle journée qui s’annonce longue. L’itinéraire alterne entre de longues portions de route goudronnée et de plus courts tronçons de piste poussiéreuse. Le paysage qui défile est immense, désertique. Nous traversons des kilomètres de steppes, où la route s’étire à perte de vue. Une ligne droite infinie, un ruban noir qui s’efface progressivement à l’horizon, ne devenant plus qu’un minuscule point à l’extrême limite de notre regard. Elle ressemble à un serpent noir, glissant inexorablement vers l’inconnu, et nous nous lançons dans une course effrénée pour en rattraper sa tête. Une illusion, une lutte inégale dont nous connaissons déjà l’issue. Mais l’envie de défier l’infini nous pousse à continuer, avec cette excitation presque enfantine de tenter l’impossible.
Denis me tire de cette transe hypnotique en me proposant un café. L’idée me séduit immédiatement. Nous décidons de faire une pause dans ce qui semble être un petit établissement improvisé, probablement destiné aux ouvriers travaillant sur la route en construction. Pourtant, une fois sur place, point de café… Nous nous rabattons sur un thé, ce qui, après tout, n’est pas une mauvaise alternative. C’est alors que Denis me lance avec un sourire en coin :
— T’aimerais pas une salade de fruits ?
L’idée est plus qu’alléchante ! Sous cette chaleur écrasante, rien ne me ferait plus plaisir que de savourer des morceaux de fruits juteux et sucrés. Mon imagination s’emballe : pastèques rafraîchissantes, melons parfumés, grappes de raisin sucrées… Je salive déjà à l’idée de ce festin vitaminé.
Denis s’approche d’un gamin assis non loin de nous et jette un œil à son assiette. Il hoche la tête d’un air approbateur. Le verdict semble positif. Quelques instants plus tard, notre assiette tant attendue arrive enfin. Mais dès qu’elle se pose devant moi, un détail me frappe : où sont les fruits ? Le rouge domine le plat, des filaments blancs en émergent. Un doute s’installe… Je fronce les sourcils et observe plus attentivement cette étrange « salade de fruits ».
— Denis… c’est quoi ce truc ?
Lui, hilare, contemple ma mine déconfite. Devant moi, pas de fruits exotiques, pas de fraîcheur désaltérante. À la place, une assiette de bortsch, une soupe de légumes bien chaude, garnie de gigantesques macaronis flottants comme des vers albinos échappés d’un cauchemar culinaire. Mon estomac, qui s’attendait à une explosion sucrée et rafraîchissante, proteste instantanément. Mes papilles crient au scandale. Mais par fierté, je m’efforce d’avaler une cuillerée…
La route reprend, et avec elle, la chaleur monte inexorablement. Le soleil tape fort, et nos corps épuisés réclament une pause salvatrice. Nous trouvons un point d’eau, un mince filet de fraîcheur dans cet océan brûlant. Certains d’entre nous laissent échapper un son venu du plus profond des entrailles en touchant l’eau glacée… ou est-ce plutôt un effet secondaire de la fameuse « salade de fruits » ? Qui sait…
Semey – Rubtsovsk (Russie)
La route jusqu’à la douane n’est pas très longue. Nous quittons la ville vers 9h30, un départ qui semble déjà un peu tardif… Mais tant pis, l’aventure continue.
Dès les premiers kilomètres, le paysage change progressivement. Nous retrouvons enfin quelques arbres, principalement des pins, dont l’odeur résineuse flotte dans l’air matinal. Puis, les forêts laissent place à d’immenses étendues de champs de céréales et de tournesols, qui s’étirent à perte de vue sous le soleil éclatant. Ces paysages dorés, balayés par le vent, donnent une impression d’infini, presque hypnotique.
L’arrivée à la douane me ramène brutalement à la réalité. Après notre expérience en Turquie, je ressens toujours une légère appréhension en franchissant une frontière. Vais-je encore devoir justifier l’inexplicable ? Aurons-nous droit à des heures d’attente interminables ?
Sortir du Kazakhstan, heureusement, ne pose aucun problème. Ici, c’est un rituel bien rodé. On commence par le contrôle des passeports et du permis de circulation. Un petit papier nous est remis, puis commence le circuit obligatoire d’un bureau à l’autre pour collecter les tampons nécessaires. Enfin, un contrôle rapide des bagages – juste de quoi s’assurer qu’on ne transporte pas d’animal clandestin (oui, oui, c’est une vérification bien réelle !). Une fois cette formalité réglée, nous pouvons filer vers la Russie.
Là-bas, le ton change. Nous sommes immédiatement invités à entrer dans un bâtiment, où une quinzaine de personnes patientent déjà. L’ambiance est feutrée, les visages fermés. Ça s’annonce long…
Lorsque notre tour arrive, un agent au guichet nous pose les questions habituelles, puis nous demande d’attendre « cinq minutes ». Un classique.
C’est alors qu’apparaît un homme imposant, sorti d’un bureau voisin. Grand, la barbe soigneusement taillée (rien à voir avec nous !), une coiffure impeccable, presque trop travaillée. Il porte une chemise blanche bien repassée, qui peine à masquer un ventre généreux… Je lui donne, au bas mot, cinq mois de « grossesse ».
Il m’invite à le suivre. Une fois installé dans son bureau, l’interrogatoire commence sans préambule :
— Qui êtes-vous ?
— D’où venez-vous ?
— Où allez-vous ?
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Depuis quand connaissez-vous Denis ?
— Qui est-il pour vous ?
Les questions fusent, son regard est scrutateur. Pour détendre l’atmosphère, je lâche une plaisanterie :
— Ce n’est pas mon boyfriend, si c’est ce que vous vous demandez !
Un éclat de rire général détend enfin l’ambiance. Ouf, je suis sauvé.
Vient ensuite le tour de Denis, qui passe à son propre interrogatoire pendant que je patiente. Finalement, tout se passe bien et nous obtenons le feu vert pour poursuivre notre route.
En pénétrant sur le territoire russe, nous découvrons un visage bien différent de celui que nous avions rencontré lors de notre première entrée dans le pays. Ici, tout est plus pauvre, plus rural. La ville où nous passons la nuit en est un parfait exemple : seules les grandes artères sont goudronnées, le reste n’est que terre battue, criblée de trous de toutes tailles.
Mais le plus surprenant, c’est l’attitude des habitants. Se faire comprendre relève du miracle. Les Russes que nous croisons semblent peu enclins à engager la conversation. La plupart préfèrent détourner le regard et s’éloigner rapidement, comme si l’interaction avec des étrangers était une corvée à éviter à tout prix.
Heureusement, nous avons une petite victoire à l’hôtel. La réceptionniste, d’abord méfiante et sur la défensive, semble sur le point de nous mettre dehors. Il nous faut toute notre patience et notre bonne volonté pour la convaincre de nous accepter. Et finalement, après quelques sourires et une bonne dose de persuasion, nous réussissons même à la faire rougir. Comme quoi…
Rubtsovsk – Barnaul
Hier soir, à l’hôtel, nous avons fait une sacrée affaire… ou du moins, c’est ce que nous avons cru. Pour le même prix, le sauna était offert ! Enfin… disons plutôt que, faute de climatisation, notre chambre s’est rapidement transformée en hammam. La chaleur y était étouffante, presque irréelle. Chaque mouvement nous arrachait des perles de sueur, et le simple fait de respirer semblait demander un effort. Pas besoin de spa, l’expérience thermale était incluse d’office.
Comme si cela ne suffisait pas, la nuit a été marquée par un spectacle digne des plus grands effets spéciaux hollywoodiens. Un orage magistral a éclaté, déchirant le ciel d’éclairs aveuglants et faisant trembler les murs sous des grondements assourdissants. À chaque coup de tonnerre, l’alarme des voitures garées devant l’hôtel se déclenchait en un concert chaotique de sirènes stridentes, ajoutant à l’ambiance apocalyptique de la nuit. Au matin, le décor avait radicalement changé : les rues étaient inondées, l’eau ruisselait partout, laissant derrière elle une ville détrempée, comme si elle avait traversé une tempête tropicale.
Nous reprenons la route, longeant sur près de 250 kilomètres des champs de céréales à perte de vue. De véritables océans dorés s’étendent à l’infini, balayés par le vent. Certains sont si immenses qu’on pourrait y construire une ville entière sans même en voir les limites. Pas de doute, nous sommes au cœur de l’un des greniers à blé de la Russie.
Notre destination du jour : Barnaul. Un simple arrêt pour la nuit, rien de bien compliqué… en théorie. Le GPS devait nous conduire directement à notre hôtel. Mais à l’approche du but, un mur invisible se dresse devant nous. Impossible de franchir les 100 derniers mètres. Routes bloquées, détours incompréhensibles, un vrai labyrinthe urbain. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous finissons par abandonner et chercher un autre hôtel. Tant pis pour le GPS, on improvisera.
Barnaul – Majminskiy
Une bonne journée commence souvent par un bon petit-déjeuner. Rien de tel qu’un café fumant accompagné de viennoiseries croustillantes pour bien démarrer. Ce matin-là, on nous propose un menu simple mais efficace : des œufs, du fromage, du pain. Tout semble parfait. À première vue, tout va bien. Je me réjouis à l’idée d’échapper aux sempiternelles tomates et concombres qui s’invitent trop souvent à table dans cette région.
Les œufs arrivent enfin, accompagnés de deux petites choses de forme ovale, nappées d’une sauce blanchâtre. Intrigué, j’observe ces mystérieuses préparations. Peut-être s’agit-il de galettes de rösti agrémentées d’un trait de yaourt ? Curieux, je me lance et prends une bouchée.
C’est alors qu’un choc gustatif d’une rare violence s’abat sur moi. Depuis les profondeurs insoupçonnées de mon être, un tsunami monte en urgence, un reflux incontrôlable. Mon estomac se révolte, mes entrailles protestent. En un instant, tout mon corps se met en alerte, cherchant désespérément une issue de secours. Où sont les toilettes ? Un récipient, un bol vide, n’importe quoi ! Rien. Pas même une sortie discrète. Je suis pris au piège.
Le goût ? Une aberration culinaire oscillant entre l’abricot sec oublié sous un canapé depuis des mois, l’aubergine trop cuite d’un buffet douteux et, comble du malheur, une effluve rappelant le textile d’un sous-vêtement délaissé depuis bien trop longtemps. Une horreur absolue.
Le voyage continue, et avec lui, le décor change radicalement. Finis les vastes champs de céréales à perte de vue ; place à des forêts de bouleaux. Les grandes plaines cèdent la place à des vallons, entre lesquels des mares d’eau stagnantes deviennent le repaire préféré des moustiques. Plus loin, une majestueuse forêt de pins s’impose dans le paysage.
Après plusieurs kilomètres de route, une pause s’impose : il est temps de faire le plein d’essence. Dans cette région, nous optons pour de la 95 lorsqu’elle est disponible. Ici, la procédure est différente : il faut annoncer au pompiste la quantité désirée avant de pouvoir se servir. Nous estimons que 1200 roubles devraient suffire. Petit problème : je n’ai que des billets de 2000 roubles. Qu’à cela ne tienne, je tente une explication avec les moyens du bord. Un dessin improvisé pour illustrer notre demande, un sourire engageant… Rien n’y fait. L’incompréhension est totale.
Vous avez compris ce que je voulais dire, n’est-ce pas ? Rassurez-moi ! Malheureusement, ce n’était pas le cas du pompiste. Nous reprenons la route et faisons le plein à la station suivante, où l’opération se déroule sans encombre.
La circulation s’intensifie à mesure que nous longeons la rivière Katun. La région est touristique, comme en témoignent les nombreux campings bordant la route. Après quelques délibérations, nous optons pour un motel tout aussi proche de la route.
Majminskiy – Kosh-Agach
Au lever du jour, une fine couche de rosée s’est déposée sur nos motos, témoignant de la fraîcheur matinale. L’air est plus vif que les jours précédents, annonçant une journée agréable pour rouler. Nous reprenons la route et traversons plusieurs villages pittoresques où les toits colorés des maisons tranchent harmonieusement avec la verdure environnante. De part et d’autre de la route, d’immenses forêts de sapins aux silhouettes élancées nous entourent.
Après deux heures de route rythmées par de longs rubans d’asphalte sinueux, une pause s’impose. Nous nous arrêtons devant un petit établissement sur lequel est simplement inscrit « Café ». L’endroit semble modeste mais accueillant. En entrant, nous réalisons qu’il s’agit en réalité d’un self-service. Le buffet offre une variété de plats : du poulet rôti, du riz parfumé et bien d’autres mets appétissants… mais aucune trace de pain, de beurre ou de confiture, pourtant idéals pour un petit déjeuner classique.
Ne faisant pas partie des plus exigeants, je décide de composer un repas original : un peu de boulgour et un rouleau de printemps. Une combinaison plutôt inhabituelle pour un matin, mais pourquoi pas ? Une surprise m’attend toutefois une fois assis : ce que je croyais être un rouleau de printemps s’est en fait révélé être un morceau de poisson bien odorant.


À neuf heures du matin, autant dire que c’est un défi pour l’estomac ! Heureusement, un verre de jus de prunes bien sucré vient équilibrer l’ensemble et rendre cette expérience culinaire inattendue plus agréable.
La route qui suit est un véritable plaisir. Nous enchaînons les virages avec fluidité, profitant du paysage grandiose qui s’offre à nous. Ici, la conduite a ses particularités : les Russes sont de véritables fusées sur les lignes droites, où les limitations de vitesse atteignent 90 ou 130 km/h. Mais dès qu’un virage se profile, la vitesse chute drastiquement à 50 km/h. Autant dire que les dépasser n’a pas été la tâche la plus difficile de la journée !


Alors que le ciel s’assombrit et que l’orage menace, nous trouvons refuge dans un hôtel au charme rustique.
Une agréable odeur de bois fumé flotte dans l’air, ajoutant une touche de chaleur à cette halte improvisée. Demain, une nouvelle étape nous attend, avec un passage de douane qui, espérons-le, se déroulera sans encombre.
Kosh-Agach – Olgii (Mongolie)
À partir d’aujourd’hui, je ne voyagerai plus seul sur ma moto. Non pas que j’aie trouvé un compagnon de route, mais plutôt parceque j’ai été adopté par une petite faune clandestine. La nuit a été riche en rencontres inattendues, et certaines créatures rampantes ou ailées ont sans doute élu domicile quelque part dans mes affaires… ou sur moi. Me voilà officiellement habité !
Comme à chaque passage de frontière, notre progression sera lente, et celle-ci ne fera pas exception. Nous quittons notre campement aux alentours de 8h et, après quarante-cinq minutes de route, nous nous retrouvons face au poste de douane russe. Devant nous, une longue file de voitures et de camions patientent déjà, formant une colonne immobile. L’attente commence. Une heure s’écoule avant que nous atteignions enfin le vrai début des formalités.
Denis, pragmatique et philosophe, trouve un moyen d’occuper son temps sans s’agacer. Je l’envie un peu. Pendant ce temps, un douanier nous interpelle et nous intime de prendre tous nos bagages pour nous rendre dans un bâtiment voisin. Ici, pas de favoritisme : tous les voyageurs, même les bébés endormis, doivent suivre la même procédure. D’abord, un contrôle des papiers, suivi du passage des bagages au scanner – et certains en transportent une montagne. Vient ensuite une nouvelle vérification des documents avant de pouvoir regagner nos véhicules… où nous attend une dernière fouille des bagages. Après ces étapes fastidieuses, nous sommes enfin libres de repartir.
Nous nous engageons dans le no man’s land, un vaste territoire désertique s’étendant sur plusieurs kilomètres. La température a bien chuté, ajoutant une touche de rudesse à ce paysage désolé. Après ce tronçon d’entre-deux, nous atteignons enfin la frontière mongole.



Dès la première barrière, l’accueil est… monnayé. Un douanier nous réclame 1000 tugriks, la monnaie locale. Ne disposant pas de cette somme sous la main, j’improvise et lui tends un billet de 100 roubles… déchiré. Contre toute attente, il accepte l’échange avec un sourire satisfait. Une bonne affaire pour tout le monde !
Le reste du passage est nettement plus simple. En trois heures, nous avons bouclé l’ensemble des démarches, même si, dans la précipitation, j’ai omis de déclarer mes nouveaux colocataires à antennes et pattes multiples…
Encore une centaine de kilomètres et nous atteignons notre destination. Le paysage change radicalement : des yourtes apparaissent au loin, des troupeaux de yacks paissent paisiblement sur d’immenses pâturages d’herbe rase. L’air a une autre odeur, plus sauvage, plus libre.
Une fois en ville, nous faisons un rapide passage au bureau de change avant de foncer sous la douche. Peut-être que demain, je serai enfin seul… ou peut-être pas !
Olgii – Khovd
On avait décidé de faire plus de kilomètres mais voilà c’était…: magnifique, extraordinaire, beau, vert,




incroyable, gigantesque, divin, formidable, interpellant, féerique, chaud, bucolique, venteux, bon, sympathique,
roulant, brillant, étonnant, exceptionnel, fantastique, incomparable, inconcevable, incroyable, indicible,
inexprimable, inimaginable, magique, merveilleux, prodigieux, remarquable, spectaculaire, sublime, supérieur,
suprême, transcendant, unique, admiratif,géniale, grandiose, monumentale, royal…
Khovd – Altaï






Altaï – Uliastai
Il y a des journées où l’on roule tranquillement, où le bitume défile sous les pneus dans une monotonie presque hypnotique. On enchaîne les kilomètres, bercé par le ronronnement du moteur et le paysage qui défile. L’esprit vagabonde, perdu entre rêverie et contemplation. Puis, lorsque vient la fin de la journée, le corps accuse le coup : les muscles sont engourdis, l’arrière-train douloureux, mais la satisfaction d’avoir avalé une bonne distance compense largement l’inconfort.
Et puis, il y a ces autres journées, celles où l’on se lance dans une aventure dictée par une idée saugrenue, un défi que l’on se crée sur un coup de tête. Ces journées-là ne se mesurent pas en kilomètres parcourus, mais en intensité d’effort et en émerveillement. La piste est chaotique, exigeante, chaque mètre demande concentration et agilité. Mais en contrepartie, les paysages sont grandioses, à couper le souffle. Là encore, en fin de journée, la fatigue est bien présente, les douleurs aussi, mais cette fois, ce n’est pas la distance qui nous a épuisés, c’est la rudesse du terrain et l’intensité du moment.
Dans notre quête pour rejoindre la route du Nord, nous avons emprunté la piste « Debons » (ceux qui savent, savent !). Au départ, tout semblait idyllique : une belle piste, agréable, qui nous promettait une progression fluide et plaisante. Pendant les premiers 50 kilomètres, nous avons savouré ce plaisir rare.
Mais ensuite, tout a basculé. La piste s’est métamorphosée en une véritable taule ondulée, une de celles qui vous secouent comme un shaker, qui font vibrer chaque pièce de votre équipement et mettent vos nerfs à rude épreuve. Devant l’enfer du tressautement incessant, nous avons opté pour une solution alternative : longer la piste à travers la prairie.


Une sage décision qui nous a offert une récompense inattendue : un parfum puissant de plantes aromatiques flottait dans l’air, enivrant nos sens et nous donnant l’impression de rouler dans un jardin d’épices. Il ne manquait plus qu’une belle côte de bœuf pour compléter cette expérience sensorielle !
Mais la piste principale n’était pas du genre à se laisser oublier. Elle se divisait sans cesse en une multitude de voies secondaires, obligeant à faire des choix. Chaque bifurcation était une énigme : laquelle menerait à bon port ? Et pendant que nous luttions contre les secousses, mon phare, solidement attaché par des colsons, n’a pas tenu le choc. Un à un, ils ont cédé, m’obligeant à m’arrêter pour bricoler une réparation d’urgence.


C’est alors que j’ai réalisé que Denis avait disparu. Plus aucune trace de lui. Était-il devant ? Derrière ? Le territoire était vaste, infiniment vaste, et le retrouver relevait du défi. Un brin d’inquiétude a commencé à poindre. Où chercher ? Comment ne pas se perdre à notre tour ? Après quelques détours et appels infructueux, nous avons finalement réussi à nous retrouver. Plus de peur que de mal, mais un bon rappel de l’immensité sauvage qui nous entourait.
Après la taule ondulée, un autre défi nous attendait : le sable. Un sable traitre, épais, prêt à engloutir nos roues au moindre faux mouvement. Nous avons sorti nos petits bidons, nos pelles et nos râteaux, comme pour construire un château… sauf que ce château-là était un véritable piège.
Et lorsque le sable s’est mêlé à la taule ondulée, nous avons atteint le summum de la difficulté. Sous un soleil écrasant de 29 degrés, chaque mètre était une épreuve.
Après 9 heures de lutte acharnée, nous avons enfin atteint notre destination, avec 240 kilomètres au compteur. Épuisés, endoloris, mais heureux. Car, malgré les galères, malgré les secousses, malgré la chaleur accablante, nous avons vécu une aventure intense, une de celles qui laissent une empreinte indélébile dans nos mémoires. Oui, on en a bavé, mais c’était beau.
Uliastai – Tariat
Nous ne sommes pas mécontents de poursuivre notre route. Quitter une ville marque le début d’une nouvelle aventure, et très vite, les paysages deviennent à couper le souffle.
La fameuse « piste Debons » nous a guidés à travers une succession de panoramas sublimes, chacun plus impressionnant que le précédent. Un immense merci à eux qui, tout comme nous, ont aussi des idées à la con.
Au fil de notre progression, les yourtes apparaissent de plus en plus nombreuses, disséminées à travers l’immensité verte. Elles évoquent des agarics champêtres ou des champignons de Paris, ponctuant le paysage de taches blanches et harmonieuses.
Nous croisons des troupeaux de yacks paissant paisiblement sous l’œil attentif des aigles qui planent majestueusement au-dessus de nos têtes. La nature ici est brute, sauvage, et d’une beauté inégalable.
Puis vient une section où la route se transforme en une succession de trous, des petits trous, toujours des petits trous… Un véritable défi pour notre patience et notre confort. Inspirés par ce terrain accidenté, nous décidons « d’improviser une partie de billes avec notre sac d’agates ». Heureusement, cette partie n’a pas duré bien longtemps.
Finalement, nous atteignons les rives du lac Terkhiin Tsagaan, où nous décidons d’établir notre campement. Quelques mouettes gourmandes tournent autour de nous, à l’affût de la moindre miette.
Pour le repas, nous faisons preuve d’audace culinaire en innovant avec une fondue à la bière. Le résultat ? Un plat du tonnerre ! Enfin… selon moi. Denis, lui, ne partage pas vraiment mon enthousiasme pour ma cuisine, et je le comprends : imaginez un fromage affiné pendant deux semaines sous une chaleur moyenne de 32 degrés. Un mets raffiné, à réserver aux amateurs avertis !


Et pour couronner cette journée déjà riche en émotions, nous avons eu le privilège d’assister au spectacle grandiose d’une aurore boréale. Un véritable ballet de lumières dansant dans le ciel nocturne.
Tariat – Kharkhorin
Aujourd’hui, le ciel est chargé de lourds nuages gris. L’air est humide, et la menace de la pluie plane au-dessus de nos têtes, prête à éclater à tout moment.
En chemin, nous passons devant le canyon Düngenee, impressionnant, où de nombreux touristes coréens, que nous surnommons affectueusement les « Samoukakïs », s’affairent à capturer chaque instant avec leurs appareils photo. L’endroit est spectaculaire, et leur enthousiasme est contagieux. Contre toute attente, nous sommes invités à une fête improvisée, où la convivialité et le partage prennent le dessus sur la barrière de la langue. Une belle parenthèse dans notre périple.
Nous poursuivons notre route à travers des villages de vacances pittoresques, composés essentiellement de yourtes traditionnelles et de petites cabanes en bois. Ces campements éphémères parsèment le paysage, offrant une vision à la fois authentique et chaleureuse de la vie nomade.
Mais derrière ces décors bucoliques, un triste spectacle se dévoile. Les vastes pâturages laissent place à des forêts de mélèzes en souffrance. Les résineux, autrefois majestueux, se dessèchent sur pied. Leurs aiguilles, jadis d’un vert éclatant, virent désormais au rouge, signes alarmants d’un déclin inexorable. Un spectacle mélancolique qui rappelle la fragilité de ces écosystèmes face aux changements de leur environnement.
Finalement, la pluie annoncée ne s’est pas invitée. Le ciel, bien que menaçant, s’est contenté de nous observer silencieusement tout au long de la journée, hésitant à libérer son fardeau.
Kharkhorin – Ulan Bator
Hier, nous avons pris la journée avec calme et légèreté, la météo pluvieuse nous incitant à ralentir le rythme. Ce moment de répit a permis à chacun de se reposer et de profiter tranquillement de l’ambiance environnante.
Ce matin, nous reprenons la route, notre première destination est un lieu chargé d’histoire : le plus ancien monastère bouddhiste de Mongolie.
La découverte de ce site est particulièrement marquante. L’atmosphère paisible qui y règne, les encens flottant dans l’air, et l’architecture des différents temples dédiés à Bouddha nous impressionnent profondément.


L’ensemble du lieu dégage une telle sérénité qu’on pourrait croire avoir été transportés au Tibet, tant l’esprit du bouddhisme y est présent. Et pourtant, nous sommes bien au cœur de la Mongolie.



Après cette belle parenthèse spirituelle, nous poursuivons notre route, en ligne droite, jusqu’à Oulan-Bator, la capitale. Le contraste entre les paysages traversés et l’arrivée dans la grande ville est saisissant, marquant la fin d’une étape et le début d’une autre.