Sous le régime du foehn, le Tessin est “sous-l’eau”. Un rapide coup d’œil sur la carte météo me donne plus ou moins la garantie d’un temps clément dans la région de la Chartreuse. Massif que je connais bien pour m’y être rendu à plusieurs reprises, mais dont j’ai toujours un réel plaisir à redécouvrir.
Tout commence par le passage du Pas de Morgins afin d’éviter les encombrements de “caisseux” sur les bords du lac Léman. La D15 suivi de la 45 me mette de “Coin”. Jolie manière d’éviter les faubourgs de Genève et de rejoindre rapidement le cours du Rhône.
675 km 16/3/31/1-2/4
Le village de Chanaz n’est pas encore envahi par le flot de touristes occupant les terrasses. A 3 euros la limonade, l’aubergiste se rattrape sur le peu de badauds arpentant les abords du canal.
En effet, la proximité du canal, son écluse et son port de plaisance attirent plus de 150 000 touristes chaque année. De tout temps Chanaz a été un haut lieu de passage, que cela soit par son canal ou la voie romaine. Jules César, en l’an -58 av. J.-C., y avait déjà trainé ses socs. L’histoire ne dit pas, si lui aussi, c’était fait arnaquer dans une des pintes longeant le cours d’eau.
Le printemps est bien là. Ceci même si les températures sont encore bien fraiches.
“Un peintre” est passé par là, colorant de son pinceau les arbres dénudés par l’hiver.
Le lendemain, ciel lourd et chargé, mais il ne pleut pas. La D914 surplombe l’Abbaye d’Hautecombe, qui a vu lors de la dernière guerre mondiale, une série de religieux polonais embarqués par les nazis.
Il y a de la magie dans le col de la Chambotte. La petite brèche qui culmine à 650 mètres, a l’originalité d’offrir deux visages à ceux qui la côtoient.
La première partie est composée de longues lignes droites bordant la falaise. La végétation qui s’agrippe à la roche verticale masque à peine, par endroits, la beauté du panorama. La prudence est de mise. Taillée dans la roche, la route est parfois très étroite.
Les jeux d’ombres et de lumières recréent au fil de la course du soleil, le relief des roches qui se reflète sur les eaux du lac. Sublime et vertigineux à pic surplombant le village de Chindrieux niché sur les rives du lac du Bourget.
Une centaine de mètres avant le col, une épingle plus large permet une pause contemplative pour y découvrir les eaux bleutées du lac du Bourget, d’une rive à l’autre. Ils surplombent la Chautagne. À droite, le Grand Colombier et le canal de Savières. Au centre, l’Abbaye d’Hautecombe, le mont du Chat et le lac. À gauche, la cluse de Chambéry, le Granier, les massifs de la Chartreuse et de Belledonne. Inoubliable balcon suspendu !
La seconde partie du périple exhale la douceur pastorale des prairies verdoyantes et des petits bois qui entourent le village et les hameaux de Saint-Germain-la-Chambotte dans les Bauges.
La belle harmonie des courbes et des couleurs printanières, nous amènent jusqu’au col du Sapenay. Le brouillard nous rattrape, on passe du printemps à l’automne dans la même minute.
Bon, imaginons que le comique qui conduit le tracteur décide tout à coup d’allumer son épandeur de fumier. J’ose même pas imaginer la tête du motard qui suit derrière…
C’est pas tout ça, mais l’heure du pic-nic est déjà depuis peu dépassée. Trouver une boulangerie dans la région relève d’une épreuve de Kho Lanta. C’est alors que j’aperçois au coin d’une maison un “truc” rouge qui n’a rien à faire par là. Ce n’est rien d’autre qu’un distributeur de pain salvateur. Le miracle est accompli. On n’est pas à Pâques pour rien.
Pour clore cette journée, une petite visite au Mont du Chat me paraît tout à fait adéquate.
Une montée insolite, voire secrète, tellement secrète qu’elle se cache derrière un épais brouillard. La bulle d’Epona ruisselle, je me trouve dans l’obligation de me décaler de l’axe de ma “grosse” afin de deviner le tracé. J’ai bien vu un panneau m’indiquant… et quelques cônes semblant interdire le passage pour de gros véhicules, mais Epona n’est pas si grosse tout compte fait…
Finalement, les nuages sont restés en bas et nous en haut! Ici le ciel ne risque plus de nous
tomber sur la tête.
14 kilomètres plus bas Le Bourget du Lac! A une vingtaine de minutes, un détail en somme. Sauf que… 100 mètres après le belvédère… la neige!! Tilt: le panneau, les cônes… Chat-loperie!!! Retour arrière!!!
Epona a tout de même profité de fêter ses 4444 “bougies”.
Alors voilà, pour passer le temps de la descente et du contournement du Mont du Chat par le tunnel éponyme, je vous propose une petite histoire locale …
La légende du Monstre du Mont du Chat
La légende du chat géant et du roi Arthur dont Capalu se réclame n’est cependant pas la plus connue. Celle que l’on se transmet communément autour du lac raconte plutôt ce qui suit: Un pêcheur nommé Antoine, habitant des rives du Lac du Bourget, vivait plus ou moins bien de ses prises, aléatoires comme chacun sait. Un jour, un de ces jours où rien ne va, ses patientes tentatives restaient vaines. Aussi, il fit ce que font les désespérés parfois, il invoqua le ciel de venir à son secours et promit que la première prise, signe d’une faveur accordée par le tout-puissant, serait, en signe d’offrande, rejetée dans le lac. Sa prière sembla porter ses fruits, en l’occurrence son poisson, il fit une prise magnifique, que tant de temps passé à avoir désirée rendait d’autant plus précieuse, mais aussi lui demandait d’autant plus d’effort pour respecter la parole donnée à celui qui l’avait si bien entendu. Un petit arrangement entre lui-même et sa précédente promesse lui fit jurer que grâce serait rendue avec le prochain poisson. Mais que celui-ci… Vous l’avez compris. Or, le deuxième était encore plus gros et plus beau que le premier, et notre pêcheur reporta encore une fois sa promesse; puis une autre; jusqu’à ce qu’il finisse par accrocher son hameçon à un poids qui faisait ployer sa canne au point de risquer la briser. Mais cette fois-ci, c’était un chat, un petit chat noir qu’il ramena des flots. Qui, tout bien soupesé, n’était pas aussi lourd que ce qu’il avait crû. Cette affaire prenait une tournure quelque peu singulière. Les prochains coups ne ramenèrent plus rien. Il sentait confusément que la chance, ou les faveurs “divines” n’étaient plus avec lui. Il ramena ses prises à la maison. Le chat ne fut pas du tout du goût de son épouse. Mais les enfants en firent un compagnon de jeu. Seulement le petit chat se mit jour après jour à changer de taille, jusqu’à devenir énorme, et de caractère, jusqu’à devenir féroce. Si bien que notre pêcheur décida de s’en débarrasser, sans toutefois le tuer, ne se sentant pas le courage de toucher à ce qui lui était venu dans des conditions quelque peu surnaturelles. Il éloigna le chat suffisamment pour le perdre dans les montagnes alentours…Mais ce ne fut pas la fin…
…Les nouvelles du monstre lui revinrent, plus terribles les unes que les autres. Il avait relâché dans la nature la terreur de la région, griffant, lacérant, égorgeant quiconque croisait son chemin. On dit même que le monstre fit sa tanière à l’endroit le plus fréquenté par les voyageurs, un col (depuis connu sous le nom du Col du chat) et se mit à y “prélever” des vies. Mais les monstres sont bien connus pour avoir quelques manies, et celui-ci, allez savoir pourquoi, un penchant sans doute irrépressible pour les mathématiques, se mit à compter jusqu’à 19 et à fondre systématiquement sur le vingtième infortuné qui avait le malheur de se présenter au col (certainement au bout d’une escalade épuisante). Comme ce vaillant soldat, qui se dirigeait d’un pas décidé vers le col, dans la hâte joyeuse de retrouver sa maison après une longue absence. Or les paysans du coin, qui ne manquaient pas de tenir une comptabilité scrupuleuse du nombre des passants, voulurent l’avertir de son “placement” en vingtième position, depuis la précédente victime. Le soldat refusant de se laisser interdire le doux retour au foyer par ce monstre indélicat, ne changea pas pour autant de cap, mais il se résolut à aller trouver dans une église les forces spirituelles et irrationnelles qui pourraient peut-être l’épauler dans l’épreuve; il pria avec ferveur, fit bénir son arme (épée ou arbalète, ou même fusil, les versions diffèrent) et reprit son chemin en direction du col. Que croyez-vous qu’il fit? Ceci n’est pas un film américain et pourtant, vous l’avez deviné, la fin est heureuse. Pour le soldat, la région, débarrassée de ce tueur. Pas pour le chat, frappé net au milieu d’un dernier bond effroyable et précipité dans le lac par le coup de maître du soldat. Lac où l’on dit encore aujourd’hui qu’il lui arrive d’écumer de rage et de se venger sur quelques malheureuses embarcations. J’oubliais de préciser que le pêcheur à l’origine de cette légende perdit dans son parjure son métier, sa santé, et un peu plus tard sa vie et celles de ses proches, tous retrouvés griffés, lacérés et égorgés dans leur petite maison.
Pour le dernier jour, on mise sur la traversée du massif des Bauges. On le dit inaccessible, telle une forteresse ! Il n’en est rien… Il suffit de découvrir ce territoire pour comprendre que le massif des Bauges est en réalité un îlot de nature préservée où le paysage se décline en villages blottis entre prairies et forêts, entourés de sommets bien souvent culminant au-delà de 2000m.
L’une des particularités du patrimoine rural bauju, qui témoigne de l’expression des modes de vie du territoire et de leur évolution depuis des millénaires, réside dans sa diversité : le massif est constitué de petits pays, riches de leurs identités, reliés entre eux par d’intenses échanges économiques et culturels depuis des siècles.
La route du col de Plainpalais nous fait découvrir des plateaux baignés de douceur, de villages perdus dans l’immensité verte.
Nous traversons les gorges du Chéran grâce au Pont de l’Abîme qui est un peu la « Tour Eiffel » du Pays d’Alby.
Au loin se dessine les Tours Saint Jacques, ces monolithes calcaires que l’on ne peut manquer lorsque l’on emprunte la route des Bauges. Elles se sont détachées du Semnoz et glissent inexorablement vers la vallée du Chéran à la vitesse de quelques cm par an.