A l’Ouest du Rhône, se trouve une terre sauvage. L’Ardèche est un pays de contrastes. Balayé par le vent, irradié par un soleil tenace, bordé de paysages inoubliables, ce petit coin de nature nous offre des paysages à couper le souffle, et un sentiment de plénitude en pleine nature. La présence des Gorges de l’Ardèche attirent bon nombre de touristes à la belle saison. Qui n’est pas encore descendu ces gorges qui s’étirent sur une trentaine de kilomètre entre Vallon Pont d’Arc et Saint-Martin d’Ardèche? Sauvage en hors saison, cette région se transforme rapidement en un gigantesque parcours d’obstacles en période touristique. Il nous est paru important d’éviter tant que faire ce peut cette partie tant convoitée qui nous obligerait à slalomer entre les camping cars et les vacanciers. Nous irons donc poser nos roues dans la partie Nord de l’Ardèche, dans l’Ardèche Verte, celle moins connue mais combien plus authentique.
Eugène-Melchior de Vogüé, Académicien Français, écrivait déjà dans ses notes sur le Bas-Vivarais de 1893: “Il y a des régions plus majestueuses dans notre France ; il n’y en a pas, à ma connaissance, de plus originale et surtout de plus contrastée, où l’on puisse comme ici, passer en quelques heures de la nature alpestre à la nature italienne ; il n’y en a pas où l’histoire de la terre et des hommes soit écrite sur le sol en caractères aussi clairs, aussi vivants.”
Il n’y a pas qu’une route principale reliant l’axe du Massif Central et la Vallée du Rhône. Il y a la Route Nationale 102, bien connue des vacanciers qui viennent des grandes villes pour rejoindre leur lieu de vacances. Et il y a aussi Bruc, Lafarre, Lamothe, Ayvides, ou Barnas tous ces hameaux au joli nom chantant qui méritent d’être visités. C’est de Barnas que nous partirons à la découverte de ces terres originels.
30.06/03.07.19 1300km
De la petite route de campagne, la RN 102 a transformé la vie du village. Les Barnassiens ont vécu, il y a longtemps déjà, le développement routier qui a engendré une nouvelle économie et a modifié les habitudes de chacun. Ils ont su s’adapter à la vie “moderne”, bénéficiant du savoir de ceux qui viennent d’ailleurs et s’arrêtaient pour se désaltérer à la fontaine. Les aînés, sur leur banc de bois dès les premiers beaux jours, à l’ombre du platane, pourront vous raconter les anecdotes et les traditions d’autrefois. Ils ne sont ni “sauvages”, ni renfermés, ils aiment à parler de leur vie et l’évolution qu’ils ont pu vivre. L’accueil est simple, chaleureux et sincère. A notre arrivée à l’unique hôtel du village, nous découvrons notre chambre donnant sur la piscine et l’Ardèche. C’est dans la forêt de Mazan que l’Ardèche prend sa source près du Col de la Chavade à quelques kilomètres de notre lieu de séjour. Nous nous y rendrons demain pour découvrir l’arrière-pays.
La RN 102 menant au Col de la Chavade est large et sinueuse. Elle permet d’enchainer de grandes courbes. Arrivés au col, nous bifurquons sur la D239 menant à l’Abbaye de Mazan. Magnifique lieu où règne un grand calme rythmé au son du clocher.
L’abbaye cistercienne fondée au XIIe siècle, dresse ses vestiges au coeur d’un environnement naturel préservé. Les restes de l’ancienne église abbatiale, ainsi que le cloître roman aux colonnettes ornées de chapiteaux sculptés témoignent de son passé monastique.
Les vestiges de cette abbaye cistercienne offrent une bonne lecture de ce que fût cet ensemble monastique. Le site se découvre facilement par la route qui le surplombe. La vision dominante ne révèle pas de prime abord l’ampleur de l’abbaye. Approchons-nous. Il faut descendre et pénétrer dans l’enceinte monacale pour se faire une idée de l’organisation et de la taille des différents espaces. L’abbaye est située dans le village éponyme, les quelques maisons qui le composent permettent encore de se rendre compte du site originel, « perdu » dans la montagne, niché au creux du relief.
Le site de l’abbaye de Mazan accueille désormais une oeuvre d’art contemporain qui fait partie du Parcours artistique du Partage des Eaux (parcours d’art contemporain à ciel ouvert dans les Monts d’Ardèche, plusieurs sites situés le long de la ligne géographique du Partage des Eaux ont été choisis pour accueillir une oeuvre d’art). Créée par l’artiste suisse Felice Varini et intitulée “Une cercle et mille fragments” l’oeuvre se déploie sur les murs et toits de l’abbaye ainsi que sur le pont, l’auberge et les anciennes fortifications qui l’encadrent, recréant ainsi un écrin à la mesure de ce site prestigieux. L’artiste a choisi de travailler à la feuille d’or, minéral sur minéral. Il explore ainsi les capacités de ce matériau naturel à capter les variations de la lumière sur la pierre. D’un point de vue précis, la feuille d’or dessine une trame partant d’un unique cercle parfait entouré de fragments de cercles aux espacements réguliers.
La ligne de partage des eaux sépare le bassin méditerranéen du bassin atlantique. La Loire y prend sa source, au pied du Mont Gerbier de Jonc. Si la ligne de partage des eaux est invisible, on peut cependant la deviner dans les paysages proches. Côté Haute-Loire, des plateaux vallonnés où la Loire coule paisiblement, côté Ardèche les reliefs déchiquetés des Boutières et des Cévennes. Le panneau est quelque peu contradictoire mais bon, l’eau coule dans le bon sens.
Le « plateau ardéchois » est perché à 1000 mètres d’altitude. Il est ponctué de dômes appelés sucs en Ardèche. Ce sont les témoins d’une activité volcanique très ancienne. L’été, c’est une pause fraîcheur, une eau vive qui jaillit d’un tapis de fleurs et de papillons.
Aux confins de l’Ardèche méridionale, à seulement quelques kilomètres de la Lozère et des Cévennes, le petit village de Saint-Paul de Tartas semble retiré du monde. Il cache en son sein une église romane, massive, bâtie d’un seul jet en blocs de granit ou de lave et couverte de lauzes. Sa haute façade se termine par un vaste clocher-peigne à quatre baies, toutes pourvues de leurs cloches.
Plus que jamais l’Ardèche peut revendiquer ici le caractère sauvage qui le définit. Le voyageur en route se coupe de tout rappel à la civilisation par une immersion en pleine nature, au gré de paysages changeants où l’eau joue au chef d’orchestre.
Soudain, la route se montre plus sinueuse que d’ordinaire, plus abrupte, un brin espiègle comme si elle voulait préserver un joyau. Les panneaux eux aussi nous préviennent que nous sommes dans un lieu plus que particulier, dont le secret semble vouloir être farouchement gardé par ses habitants et ses amoureux. Au bout du vallon, la Borne, une rivière joueuse et parfois tumultueuse, qui se dévoile au-delà d’un impressionnant roc flanqué d’un donjon médiéval. Tour impressionnante accrochée à son rocher en dessous du village éponyme. L’Ardèche sauvage comme on l’aime, a su littéralement happé le visiteur par une atmosphère surnaturelle. Un charme hypnotique qui se poursuit en découvrant le village.
Je ne me lasserai jamais de ces surprenants paysages ardéchois, profondément creusés, toujours exigeants. Du nord au sud du département, où que l’on soit, s’enfoncer au cœur de l’Ardèche c’est immanquablement monter pour mieux redescendre dans un cycle où l’enchantement peut se disputer à l’infini.
Chaque vallée est une découverte, chaque passage de col porte en lui la promesse de nouveaux secrets à lever. Avant même d’avoir le temps de m’en rendre compte, je me retrouve dans l’ombre d’un nouveau paysage : une épaisse et haute pessière, l’une de ces immenses forêts de hauts épicéas, venue subitement tamiser le soleil radieux qui brille sur l’Ardèche ce jour-là. La nuit en plein jour, qui semble autant étouffer la lumière que les sons.
J’aurai souhaité pouvoir la traverser sans aucun bruit, de crainte de troubler le silence surnaturel qui enveloppe le sous-bois, avant de rejoindre une arche aveuglante qui marque le passage de la crête. La frontière végétale y est nette et presque dérangeante. Pas une seule racine de résineux ne s’aventure sur l’autre versant où leur font face une armée de hêtres. Sous la futaie, la lumière reprend ses droits et la forêt éclate à nouveau.
Les ruines d’habitats désormais reléguées à l’histoire s’éparpillent ici et là, peu à peu recouvertes par la végétation.Le privilège d’être seul à profiter du charme d’un endroit méconnu des foules s’installe. Une forêt superbe et radieuse nous enveloppe dans un bain de lumière et de verdure. Délicieuse atmosphère clandestine où chaque tour de roue est une découverte.